***— "La jeune femme avait hoché la tête comme si elle comprenait, elle se leva, s'inclina une dernière, puis s'en alla, le laissant perdu dans ses pensées."
La personne qui venait de finir de lire ce début d'histoire soupira profondément, ce qui fit réagir son auteur.
— Alors ?
— Bah, bof...
— Mais encore ? Quoi "bof" ? Développe !
— Non c'est rien, si ce n'est que ton personnage n'est pas la seule à ne pas comprendre.
— J'ai écrit qu'elle "fait comme si".
— Mouais, donc tes lecteurs tourneront la page et feront comme s'ils comprenaient qu'elle s'appelle soudainement Salomon au bout de dix-huit ans. Perso je ne vais pas changer de nom d'un coup, tout ça parce qu'un vieillard le cul mal vissé sur sa montagne en a décidé ainsi !
Cette fois c'est l'auteur qui soupire devant l'envolée de son interlocutrice.
— C'était juste un jet vite fait, ok ! Et rien ne dit que tu seras mon personnage principal.
— Et rien ne dit que je ne le serais pas. Dois-je te rappeler que je suis la seule de tes muses rentables et que les autres sont enfermées à se battre dans le placard avec tes nombreux récits "en cours" ? Je mérite bien un rôle principal vu mes efforts.
— Rentables ? réagit l'auteur vexé sans retenir le reste.
— Oui. Avec moi tu progresses vite, avec les autres tu traines et ton éditeur n'est pas content quand cela arrive. C'est vrai qu'elles font de leur mieux et que tu es en réalité le seul coupable.
— Sauf que quand je prends le temps de me consacrer...
— Le temps ? interrompit la muse déterminée.
— Oui le temps. Quoi encore ? Tu vas me dire que je n'en ai pas, c'est ça ? commence à s'énerver l'auteur.
— Pas seulement.
La muse se dirige vers le placard évoqué précédemment et décide de l'ouvrir, lorsque l'auteur lui crie de ne surtout pas le faire.
Mais cela est trop tard, car soudain un déferlement de personnages en train de se battre – chevauché par des muses à la chevelure hirsute et emmêlée, aux regards hagards – déboule littéralement par l'ouverture et commence à se répandre aux pieds de l'auteur, qui reste bouche bée devant cette montagne d'idées passées en train de l'envahir.
— Le temps c'est justement ton problème, explique la muse principale en pointant le personnage d'une histoire qui avait un bel avenir autrefois et qui à présent, est hors de contrôle :
un corbeau géant sautille sur une colonne grecque brisée, alors que sous celle-ci une belle jeune fille en robe de mariée pleure de désespoir contre le destin, et ce, sans se rendre compte de ce qui ce passe autour d'elle : "Cet enfoiré m'a foutu une colonne d'une tonne sur la gueule, le jour même de mon mariage !!! Je veux ma lune de miiiiiiiiieeeeeeeeeeel"*— Quand tu as trop de temps, tu imagines d'autres histoires que tu ne finis pas ! Ton placard d'idées et d'inspirations va saturer tôt ou tard et je vais finir folle comme mes sœurs ! C'est pourquoi aujourd'hui j'ai décidé que la parole serait donnée à tes personnages afin que tu mettes en place un planning d'écriture !
— Tu n'es pas sérieuse ?! Et mon nouveau roman alors ?! Ma nouvelle inspiration ?! cri presque de désespoir l'auteur pris au piège devant l'incommensurable tâche.
— Ah oui, j'oubliais, merci de me le rappeler.
Alors que l'auteur sourit devant ce qui semble être un sursaut d'espoir de pouvoir fuir cette situation, il perd soudainement sa mimique victorieuse lorsqu'il voit sa muse fouiller l’amas de personnages toujours au sol. Finalement après un moment elle commence à en extraire un vieillard perdu dans ses pensées : "
mais si je suis celui qui nomme, alors c'est que je me suis nommé ? Mais si je n'en ai pas le souvenir et que je me souviens de tout le monde, c'est que je me suis oublier..."
— Et en plus il radote ! lance-t'elle à la volée. Allez, à la trappe papi !
— Tu ne vas pas le mettre dans le placard ?! s'affole l'auteur en voyant ainsi son personnage molesté.
— Même pas en rêve ! Lui, il ne s'approche pas du placard d'idées, il va à la cave direct ! Quant à la fille... Humm, la fille est joliment décrite donc elle à droit au placard des idées en suspend. Par contre tu me changeras ce nom horrible et tu approfondiras sa personnalité, si tu ne veux pas qu'elle rejoigne papi et tes autres idées ridicules !
— Elles ne sont pas ridicules et un jour je sais qu'elle me serviront !
— En attendant le vioc rejoints l'idée de l'écureuil qui fume du ganja
** (ou je ne sais plus quoi) et puis c'est tout !
— Mon personnage du "Nommeur" ne restera pas longtemps à la cave ! s’enhardit l'auteur, pour ne pas se laisser dicter sa raison par cette maniaque du contrôle.
Blasée et insensible, la muse fixe l'auteur tout en refermant, ou plutôt en claquant, la porte de la cave sur le vieil homme radotant, immobile en haut des marches menant au sous-sol. Celui-ci, poussé au niveau du chambranle qui claque, se met à dévaler les marches en roulades et s'écrase lourdement quelques mètre plus bas en un bruit sourd. Ses gémissements sont bientôt étouffés lorsque le verrou est fermé consciencieusement par la muse.
— Tu n'as même pas allumé la lumière pour qu'il descende ! hurle l'auteur choqué par un tel traitement.
— Pas la peine d'user tes neurones pour rien, ce personnage ne deviendra jamais une idée lumineuse, réagit-il platement la muse.
— Tu es complétement cinglée !
— Plains-toi à ton subconscient d'auteur, responsable de ma création. Moi je ne fais que mon boulot en essayant de te garder la tête froide. Je n'y suis pour rien si ton esprit divague tellement que tu t'es inventé une multitudes de "muses" destinées à te motiver et t'engueuler pour t'encourager à écrire ! Tu n'es pas le seul auteur à parler à ses personnages, hein ! Je suis certaine d'ailleurs que tu n'es pas le premier auteur à réunir ainsi tous ses personnages – toutes histoires confondues – dans une seule et même pièce afin de provoquer un crossover personnel... Ou pour simplement essayer de s'organiser parmi ses histoires.
*=> faits inspirés d'une histoire dont j'attends la suite depuis belle lurette !!! :@
**=> l'ensemble du cadavre dont s'inspire cette anecdote ne devra jamais être divulgué ici... du moins, pas sans l'accord de tous les fous y ayant participé